Miguel de UNAMUNO

Des écrivains et poètes qui composent la Génération de 98, Unamuno est l’un des plus remuants, des plus ardents. Avec Azorín, Baroja, Machado, Valle-Inclán, Maeztu – au lendemain du désastre de la guerre avec les États-Unis et de la perte des dernières colonies –, Unamuno contribue à animer la vie intellectuelle de son pays, à donner un éclat nouveau à sa littérature. Personnalité complexe et tourmentée, il veut à la fois secouer la torpeur de ses contemporains et aider à promouvoir une nouvelle conscience politique et religieuse.
« Dans notre monde intellectuel, écrit le poète Antonio Machado en 1905, personne ne suscite autant la guerre que le savant Unamuno. Un esprit batailleur, expansif et généreux habite cet homme quichottesque... Les notes dominantes, chez lui, sont : l’audace d’entreprendre, l’ambition de gloire et l’affirmation constante et décidée de sa personnalité... Unamuno est de la lignée des mystiques espagnols, ces âmes de feu. » En 1907, Unamuno publie Poesías. Il ne cesse par la suite d’écrire et de publier des poèmes : Rosario de sonetos líricos (1911), El Cristo de Velázquez (1913-1920), Rimas de dentro (1923), Teresa (1924), Romancero del destierro (1928), El cancionero (diario poético) [1928-1936], les poèmes insérés dans Andanzas y visiones españolas (1922), les sonnets de De Fuerteventura a París (1925). La poésie pour Unamuno doit exprimer ce qu’il y a d’irréductible dans un homme « en chair et en os ». Unamuno, guidé par le « logos », se sert du vers pour dire la tension des pulsions contraires qui l’habitent et crier son angoisse. Le Verbe, la langue, précèdent la pensée. Le poète l’organise en langage et inscrit son discours, à la demande de son temps, dans la vie historique de la communauté. Unamuno prend le lecteur à parti. Sa poésie est une poésie de cimes et, comme telle, rocailleuse, car les mots, chez lui, sont trop sérieux pour jouer de la musique.
Philosophe, écrivain, dramaturge, poète, existentialiste chrétien, Miguel de Unamuno est né le 27 septembre 1864 à Bilbao (Pays-Basque). En 1880, il s’installe à Madrid où il suit les cours de philosophie et de lettres à l’université. Son inaptitude à se plier à l’étude des programmes universitaires et les nombreuses oppositions que suscitent ses idées rendent difficiles son début de carrière. En 1891, il obtient cependant la chaire de grec à l’université de Salamanque. Il épouse Concepción Lizárraga, de Guernica, qui lui donne neuf enfants. Son caractère difficile, polémique, parfois âpre et égocentrique, ainsi que l’hostilité de l’Église et des hommes au pouvoir lui rendent la vie difficile.
De formation chrétienne, et bien qu’étant devenu athée par la suite, il conserve un intérêt particulier pour les problèmes religieux. Une maladie cardiaque le frappe en 1897 et lui fait traverser une crise religieuse dont on trouve témoignage dans son Journal intime. Nommé recteur de l’université de Salamanque en 1900, il est destitué de sa charge en 1914 en raison de son hostilité à la monarchie espagnole et de sa prise de position en faveur des Alliés durant la Première Guerre mondiale. En 1924, des articles virulents contre la dictature (1923-1930) du général Primo de Rivera le font exiler sur l’île de Fuerteventura, aux Canaries. Délivré par une goélette française, il séjourne à Paris, où il écrit L’Agonie du christianisme.
La nostalgie de l’Espagne le pousse à se rapprocher géographiquement. Il s’installe et vit à Hendaye de 1925 à 1930, avant de rentrer dans son pays après la chute du dictateur. Retrouvant son poste de recteur à Salamanque, il est également élu député. En 1936, lorsque les troupes franquistes occupent la ville, il hésite sur le choix politique devenu nécessaire. Mais, le 12 octobre 1936, à Salamanque, trois mois après le coup d’État en réaction à la victoire du Front populaire ; Franco, généralissime des armées, vient d’être investi des pleins pouvoirs et proclamé chef du gouvernement de l’Espagne nationaliste. Unamuno, en sa qualité de recteur, prend la parole – il est entrecoupé par les « Viva la muerte ! » (cri de ralliement des troupes franquistes) ou « España ! » hurlés par le public – et déclare : « Vous attendez tous ce que je vais dire. Vous me connaissez et savez que je ne peux garder le silence. Il y a des circonstances où se taire est mentir. Car le silence peut être interprété comme un acquiescement…. Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat. »
Assigné à résidence par les franquistes, Miguel de Unamuno meurt le 31 décembre 1936, à l’âge de 72 ans.
Plus que tout autre parmi les écrivains espagnols du XXe siècle, Unamuno a eu une influence non seulement sur la culture, mais encore sur la vie sociale et politique de son pays. Pénétré d’idées réformatrices, opposé aux institutions vieillies, écrivain fragmentaire et paradoxal, génial mais inégal, âme inquiète et inquiétante, son œuvre en fait le type même de « l’essayiste » espagnol, incapable de systématisation et, par-dessus tout, poète. Unamuno a touché à de nombreux genres littéraires, narratifs ou lyriques : poésie (Le Christ de Velázquez), roman (Brouillard, Tante Tula), nouvelle (Trois nouvelles exemplaires et Un prologue). Mais son vrai domaine est l’essai proprement dit.
Parmi sa vaste production, citons notamment L’Essence de l’Espagne (1895), Sur le purisme (1895), La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança (1905), Ma vie religieuse et autres essais (1910), Soliloques et conversations (1911), Contre ceci et contre cela (1912), Le Sentiment tragique de la vie (son principal ouvrage, 1913) et L’Agonie du christianisme (1926). La pensée de Miguel de Unamuno repose tout entière sur le contraste radical qui, pour lui, sépare « vie » et « raison », « action » et « pensée » : la raison est l’ennemie déclarée et irréductible de la vie. La raison est identité, permanence, universalité, explication logique de tout, dissolvant de l’individu dans l’universel, négatrice de ses plus profondes aspirations morales et religieuses. La vie par contre est diversité et inégalité, flot continu, individualité, foi sans cause, sans logique, ascientifique, affirmant l’existence des idéaux de l’immortalité de l’âme et de Dieu. La raison affirme que tout cela est absurde ; mais la vie répond que précisément parce qu’absurde, cela est vrai, c’est vrai parce que folie pour la raison. « Toute tentative d’accord et d’harmonie persistante entre la raison et la vie, entre la philosophie et la religion est impossible. Et la tragique histoire de la pensée humaine n’est autre que la lutte entre la raison et la vie. Telle est l’histoire de la philosophie, inséparable de celle de la religion. »
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : J.- V. FOIX & le surréalisme catalan n° 60 |